La Convention judiciaire d’intérêt public (CJIP) est un accord conclu entre le procureur de la République et une personne morale mise en cause pour des faits d’atteinte à la probité (corruption, trafic d’influence, fraude fiscale, blanchiment).
Le parquet national financier (PNF), en charge des enquêtes relevant des infractions économiques, est ainsi amené à négocier avec des personnes morales, surtout des grosses entreprises (Airbus, LVMH, McDonalds, etc) dans ce type d’affaires.
De 2020 à 2022, 14 CJIP ont été signées dans des affaires d’atteinte à la probité, et les ont pu être condamnés à des amendes allant jusqu’à plus de deux milliards d’euros.
Le 16 janvier 2023, le Parquet national financier a publié des lignes directrices sur la mise en œuvre de la convention judiciaire d’intérêt public, à destination des entreprises notamment.

I. Les avantages de conclure une CJIP
En tant que mesure alternative aux poursuites, le PNF souligne l’existence de plusieurs avantages pour une personne morale à conclure une convention judiciaire d’intérêt public.
D’abord,conclure une CJIP permet d’accélérer la procédure et de réduire les coûts normalement engendrés dans le cadre des affaires pénales.
La également vocation à être calculée en fonction du profil et de la capacité financière de l’entreprise. Celle-ci évite par ailleurs de se voir infliger plusieurs sanctions qui pourraient affecter sa viabilité économique. Ainsi, la personne morale ne peut pas être exclue des marchés publics, être interdite d’exercer certaines activités, être contrainte de fermer un ou plusieurs établissements, ou encore être interdite de faire admettre des titres financiers aux négociations sur un marché réglementé.
La procédure de conclusion d’une CJIP a en outre l’avantage de permettre aux personnes morales de bénéficier de la confidentialité des échanges au cours de la négociation. Ainsi, si le président du tribunal refuse d’homologuer l’accord,ou si la personne morale décide de se rétracter, le procureur de la République ne pourra pas se servir des déclarations de la personne morale ou des documents qu’elle a remis devant une juridiction.
En revanche, cette interdiction de divulgation ne s’applique pas concernant les documents versés à la procédure avec l’accord de la société au cours des négociations préalables à la proposition de convention. En pratique, la date à partir de laquelle la confidentialité des échanges est assurée est précisée et discutée entre le procureur, la personne morale, et ses avocats.
La conclusion d’une CJIP peut enfin résulter en une coopération internationale en cas de poursuites simultanées dans plusieurs pays, et conduire à la conclusion d’accords coordonnés. Cette possibilité évite à une entreprise d’être sanctionnée plusieurs fois pour les mêmes faits.
Mise en garde #1 : le sort des personnes physiques : Les représentants légaux de la personne morale, responsables pénalement des fautes commises au nom de la société, restent condamnables devant les juridictions pénales, quand bien même la personne morale a conclu une CJIP avec le parquet.
Il leur est impossible,comme toute personne physique, de bénéficier d’une procédure de CJIP comme mesure alternative aux poursuites.
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II. Les sanctions possibles
La personne morale signataire d’une CJIP peut être soumise à plusieurs obligations (article 41-1-2 du code de procédure pénale), à savoir :
- Le versement d’une amende
- La mise en œuvre d’un programme de mise en conformité
- La réparation du dommage de la victime identifiée
Concernant l’amende,son montant « est fixé de manière proportionnée aux avantages tirés des manquements constatés, dans la limite de 30 % du chiffre d'affaires moyen annuel ». Pour déterminer ce montant, le procureur de la République se fonde sur un ensemble de critères, en particulier les avantages directs ou indirects tirés des manquements reprochés, mais il tient également compte de la gravité des faits (répétition des manquements, trouble à l’ordre public) et du comportement de la personne morale au cours de l’enquête (révélation spontanée,coopération active, obstruction à l’enquête, indemnisation préalable des victimes).
Le parquet national financier précise qu’en cas de difficultés financières avérés, il est possible de négocier une réduction du montant global de l’amende, et un échelonnement de son paiement.
Ensuite, la mise en œuvre d’un programme de conformité consiste, si le PNF et l’Agence française anti-corruption, en charge du contrôle de la mise en œuvre de la mesure, l’estiment nécessaire, en la rédaction d’un programme contenant :
- Un code de conduite définissant les comportements prohibés car susceptibles de caractériser des faits de corruption ou de trafic d'influence
- Un dispositif d’alerte interne
- Une cartographie des risques
- Des procédures d’évaluation de la situation des clients
- Des procédures de contrôles comptables
- Un dispositif de formation destiné aux personnels les plus exposés aux risques de corruption et de trafic d'influence
- Un régime disciplinaire permettant de sanctionner les personnels violant le code de conduite établi
Si une victime existe et a pu être identifiée, le procureur de la République évalue le montant de son préjudice, si besoin en recourant à un expert, et fixe ainsi l’indemnisation à verser par la personne morale. La victime ne peut s’opposer à la conclusion de la CJIP.
En cas de fraude fiscale, ces sanctions peuvent se cumuler avec les sanctions fiscales prononcées par l’administration. La résolution fiscale de l’affaire est même un prérequis pour la conclusion d’une CJIP.

III. La procédure
Dès lors que la personne morale accepte la CJIP, la convention est soumise à la validation du président du tribunal.
Si la convention est validée, la décision d’homologation est publiée sur le site internet du ministère de la Justice, accompagnée d’un communiqué de presse. Les faits non compris dans la convention peuvent en revanche faire l’objet d’une nouvelle enquête, et d’éventuelles poursuites pénales.
Dans ce cas,elle n’apparaît pas au casier judiciaire de la personne morale.
A l’inverse, si la CJIP n’est pas validée, si la personne morale se rétracte ou si elle n’exécute pas ses obligations, le procureur de la République engage des poursuites.
Si les faits ont été commis simultanément dans plusieurs pays, le PNF peut entrer en contact avec les autorités de poursuite des pays étrangers saisies des mêmes faits, et décider de la sanction à imposer à la personne morale en concertation avec celles-ci.
Focus #1 :comment entrer, en pratique, en négociation avec le procureur de la République ? : Bien que les dispositions légales fassent uniquement mention de la possibilité pour le procureur de la République de proposer une CJIP à la personne morale poursuivie,le PNF précise qu’en pratique, son représentant légal ou son avocat peuvent se rapprocher informellement du parquet pour indiquer leur souhait de conclure une convention transactionnelle. Le procureur de la République pourra décider qu’il est opportun de signer une CJIP, mais il reste le seul à prendre la décision finale.
Le PNF souligne à plusieurs reprises l’incidence de la bonne foi de la personne morale sursa décision de recourir à une solution transactionnelle ou non, mais également,et surtout, sur le montant de l’amende. Sont notamment cités comme critères larévélation spontanée des faits au parquet dans un délai raisonnable, la mise en œuvre d’une enquête interne sur les faits et les dysfonctionnements du systèmede conformité, la transmission des résultats de cette enquête au parquet, ouencore la mise en œuvre rapide de mesures correctives pour renforcer l’efficacité du programme de conformité.
La possibilité d’accéder ou non au dossier reste à la discrétion du parquet.