Pénal
8
January 2021

Fichiers de renseignement élargis : 4 questions pour comprendre ce qui change

Fichiers de renseignement élargis : 4 questions pour comprendre ce qui change

Fichiers de renseignement élargis : 4 questions pour comprendre ce qui change

ÉCLAIRAGE - Lundi 4 janvier, le Conseil d'État a autorisé l'application de trois décrets élargissant les critères des personnes pouvant être fichées. Un feu vert qui inquiète syndicats et associations de défense des libertés.

Un gendarme de la Division de lutte contre la cybercriminalité du département de surveillance internet.Crédit Image : THOMAS COEX / AFP

Par Marie Zafimehy

publié le 07/01/2021 à 17:44

Opinions politiques, appartenances syndicales, données de santé... Autant de critères qui pourront bientôt être fichés au nom de la sûreté de l'État : lundi 4 janvier, le Conseil d'État a autorisé l'application de trois décrets du ministère de l'Intérieur élargissant les possibilités de fichage de la population.

La plus haute juridiction administrative de France avait été saisie en référé (procédure d'urgence) par plusieurs centrales syndicales dont la CGT, FO ou la FSU, mais aussi le Syndicat de la magistrature et le Syndicat des avocats de France (SM et SAF, classés à gauche).

Les juges ont finalement considéré que les trois décrets ne portaient pas une atteinte disproportionnée à la liberté d'opinion, de conscience et de religion ou à la liberté syndicale. Voici quatre questions pour comprendre ce que change cette décision.

1. De quels fichiers parle-t-on ?

Les décrets, publiés le 4 décembre, portent sur trois fichiers : le Pasp (prévention des atteintes à la sécurité publique) utilisé par la police, le Gipasp (gestion de l'information et prévention des atteintes à la sécurité publique) utilisé par les gendarmes, et l'EASP (enquêtes administratives liées à la sécurité publique) utilisé avant le recrutement de fonctionnaires sur des postes sensibles.

"Les décrets élargissent le nombre de personnes ayant accès à ces fichiers, explique Juliette Chapelle, avocate spécialisée dans la défense des libertés fondamentales. Avant, seules la police et la gendarmerie y avaient accès, maintenant un procureur de la République ou un agent du renseignement le pourront aussi".

Début novembre, 60.686 personnes étaient inscrites au Pasp, 67.000 au Gipasp et 221.711 à l'EASP, selon le ministère de l'Intérieur. "Ces fichiers permettent de fournir des informations en cas de poursuites pénales, cela permet aussi à la police et à la gendarmerie d'avoir une vision précise des activités d'une personne", explique Juliette Chapelle. Aujourd'hui une inscription sur ces fichiers dure jusqu'à dix ans.

2. Qui peut être fiché ?

Auparavant, le Pasp, le Gipasp et l'EASP étaient limités aux hooligans et aux manifestants violents. Désormais pourront être recensées les données de toute personne soupçonnée d'activités terroristes ou susceptibles "de porter atteinte à l'intégrité du territoire ou des institutions de la République".

À ce titre, pourront être fichés les personnes physiques - une personne individuelle - mais aussi les personnes morales, comme les associations, les entreprises ou les syndicats. "Et toutes les personnes qui gravitent autour peuvent faire l'objet de notes à l'intérieur de ces fichiers, relève Juliette Chapelle, y compris les mineurs de moins de 13 ans."

3. Quel type de données peut être fiché ?

Auparavant les fichiers visés ne pouvaient recenser que des "activités". Désormais ils pourront en plus répertorier des données précises sur les personnes fichées. Parmi celles-ci : les opinions politiques d'une personne, ses convictions philosophiques et religieuses, son appartenance syndicale, sa situation familiale et professionnelle, ses comportements et habitude de vie, ses coordonnées, et même ses données de santé.

Dans la catégorie "coordonnées" sont notamment pris en compte les identifiants, photos et commentaires postés sur les réseaux sociaux. Parmi les données de santé récoltées, peuvent être aussi recensés les facteurs de fragilité ou de dangerosité relatifs à des troubles psychiatriques par exemple. "Ce sont des données élargies qui touchent à l'intimitéqui peuvent être recoupées avec d'autres fichiers, commente Juliette Chapelle, l'État passe la porte des foyers !"

4. Pourquoi cela inquiète-t-il ?

Les organisations à l'origine de la saisine du Conseil d'État dénonçaient le "spectre du Big brother en 2021" et le risque d'une surveillance de masse. "Je pense que pour l'État ça ne rime jamais à rien de ficher ce que font les gens sur son territoire, s'inquiète également Juliette Chapelle. Il y a un vrai risque de fichage massif non contrôlé car lorsque vous êtes fichés on ne vous avertit pas que vous êtes fichés."

Le ministre de l'Intérieur a à plusieurs reprises réfuté toute volonté de "créer un délit d'opinion" ou une surveillance de masse, assurant que la CNIL et le Conseil d'État avaient tous deux donné leur feu vert à l'application de ces décrets destinés, notamment, à lutter contre le terrorisme.

Ces textes s'inscrivent aussi dans la lignée de la loi sécurité globale contre laquelle des milliers de personnes ont manifesté au mois de novembre. Dans ce contexte, élargir le fichage pose question. "Ce n'est pas une anecdote dans l'histoire politique et de l'État", explique Juliette Chapelle.

Par ailleurs, selon l'avocate, les notions de "d'atteinte à la sûreté de l'État" et "d'atteinte à la sécurité publique" sont "trop larges et peu définies". "Ce sont des notions qui sont mouvantes par rapport au contexte dans lequel est un pays", explique-t-elle. En clair : ce qui n'est pas considéré comme tel aujourd'hui pourrait l'être plus tard, et conduire ces fichiers à être utilisés à différents desseins.

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