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19
January 2023

Quel recours contre les conditions indignes de détention ?

Quel recours contre les conditions indignes de détention ?

Dans le cadre d’une mesure privative de liberté se pose la question des conditions de détention en prison et de la possibilité de contester des conditions indignes ou de demander une mise en liberté sur ce fondement. L’ouverture d’un recours effectif contre des conditions de détention contraires à la dignité humaine a été instituée en avril 2021 seulement.

Au 1er octobre 2022, 72 350 personnes ont été recensées dans les prisons françaises, soit un record jamais atteint. La surpopulation carcérale est un problème systémique en France et ce, malgré les réformes et la lettre et l’esprit de la loi qui prévoit que la prison doit être l’ultime recours. Il existe ainsi une multitude de peines autres que la prison ou d’aménagements de peines prévus par le législateur. Nous vous invitons à relire notre série d’articles sur ce sujet : 

Aménagements de peine lors d’une incarcération : conditions et effets 

Incarcération : quelles sont les réductions de peine possibles 

Personne incarcérée : la suspension de l’exécution de la peine

Personne incarcérée : demander une permission de sortir

Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté tire régulièrement la sonnette d’alarme sur les conditions d’incarcération dans les établissements pénitentiaires français, en particulier dans les maisons d’arrêt où les taux d’occupation sont les plus élevés, ce qui aggrave les conditions de détention des personnes détenues. 

C’est pourquoi la contestation de leurs conditions de vie par les détenus incarcérés fait l’objet de contentieux aussi bien devant le juge administratif que devant le juge pénal, depuis l’introduction de l’article 803-8 dans le code de procédure pénale. 

I. LES RECOURS ADMINISTRATIFS 

Il existe des recours devant les juridictions administratives. Ces recours ont été les premiers utilisés afin de tenter d’améliorer les conditions de détention indignes dans les prisons de France, notamment sous l’impulsion de l’Observatoire International des Prisons-Section Française.

A. Le référé-liberté

Le premier recours est le référé-liberté prévu par l’article L. 521-2 du code de justice administrative

« Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures. ». 

Il convient de démontrer deux conditions : 

  • L’existence d’une situation d’urgence. La condition d’urgence est regardée comme satisfaite lorsque le requérant justifie de circonstances particulières caractérisant la nécessité pour lui de bénéficier à très bref délai d'une mesure de sauvegarde susceptible d’être prononcée par le juge des référés (CE, 23 janv. 2004, n° 257.106; CE, 28 mars 2008, n° 314.368).
  • La violation d’une ou plusieurs libertés fondamentales. Dans la majorité des cas, lorsque des conditions indignes de détention sont alléguées, les libertés fondamentales invoquées sont : le droit à la vie, le droit de ne pas être soumis à des conditions de détention inhumaines ou dégradantes, ainsi que le droit au respect de la vie privée, lesquels constituent des libertés fondamentales au sens des dispositions de l'article L. 521-2 du CJA (CE, 30 juill. 2015, OIP-SF, n° 392.043 ; CE, 28 juill. 2017, OIP-SF, n°410.677 ; CE, 4 avril 2019, OIP-SF, n°428.747 ; CE, 19 oct. 2020, OIP-SF, n°439.372). 

Si ces deux conditions sont réunies, le requérant peut demander et obtenir des injonctions de la part du juge administratif. Par exemple, il peut demander à ce qu’un chauffage d’appoint lui soit remis, que les douches soient nettoyées, que des opérations de dératisation et désinsectisation soient effectuées, que les draps soient lavés…

Dans un dossier, le cabinet Chapelle Avocat a obtenu un certain nombre d’injonctions concernant la maison d’arrêt des Hauts-de-Seine : 

Le Conseil d’État confirme l’indignité des conditions de détention à  la maison d’arrêt des Hauts-de-Seine

B. Le recours indemnitaire

En cas de détention indigne, la personne détenue peut engager un recours indemnitaire contre l’État. Il pourra ainsi obtenir des dommages-et-intérêts en raison des préjudices subis du fait de l’indignité des conditions de détention. 

Il s’agit d’une responsabilité pour faute

II. LE RECOURS JUDICIAIRE

A. L’absence de recours effectif pour conditions indignes en détention soulevées par la Cour Européenne des Droits de l'Homme

La question du recours contre les conditions de détention contraires à la dignité humaine a été ouverte par l’arrêt J.M.B. et autres c/ France de la Cour européenne des droits de l’Homme, rendu le 30 janvier 2020. La CEDH constate plusieurs violations de la Convention européenne des droits de l’Homme.

Tout d’abord, elle condamne la France pour violation de l’article 3 de la Convention qui prohibe toute peine ou traitement inhumain ou dégradant. Elle relève que les requérants font état d’animaux nuisibles, du manque d’aération, de la vétusté des locaux, du manque d’accès aux soins, du climat de violence, de la surpopulation carcérale et du manque d’espace personnel. Sur ce dernier point, la CEDH rappelle que la violation de l’article 3 est présumée dès que le minimum de trois mètres carrés par détenu n’est pas atteint. Cette présomption a été dégagée par son arrêt Mursic c/ Croatie du 20 octobre 2016. C’est alors au gouvernement de démontrer que les réductions d’espace sont occasionnelles ou compensées par une liberté de circulation à l’extérieur.

Tous les éléments de fait décrits par les requérants à la CEDH constituent selon cette dernière un commencement de preuve. La charge de la preuve pèse alors sur le gouvernement qui doit réfuter les allégations des requérants. La Cour considère cependant qu’il n’a pas réussi à démontrer l’absence de traitement dégradant et inhumain.

La Cour condamne également la France pour violation de l’article 13 de la Convention qui consacre le droit à un recours effectif. La Cour considère que les recours pour conditions indignes en détention en référé-liberté et en référé mesures-utiles devant le juge administratif sont insuffisants. Elle constate en effet que le pouvoir d’injonction conféré au juge des référés est limité. Le juge peut uniquement ordonner des mesures de court terme et non des mesures de fond, telles qu’une réorganisation des services et des travaux. De plus, le juge administratif n’a aucun pouvoir sur les décisions d’emprisonnement ou de libération qui relèvent du juge judiciaire. Elle recommande donc à la France d’adopter un recours effectif.

 

B. L’ouverture d'une demande de liberté pour conditions indignes devant la chambre de l'instruction

En droit interne, la Cour de cassation apporte des réponses à l’arrêt de la CEDH par deux décisions du 8 juillet 2020. La Cour a ouvert la possibilité aux personnes placées en détention provisoire d’effectuer une demande de mise en liberté au motif de conditions indignes devant la chambre de l’instruction. Elle considère en l’espèce qu’un détenu qui effectue une demande de remise en liberté pour conditions indignes doit uniquement apporter des allégations suffisamment crédibles, précises, actuelles et personnelles tenant à ses circonstances de détention. La charge de la preuve pèse alors sur le ministère public à qui il revient de démontrer l’absence de conditions de détention indignes.

C. L'inconstitutionnalité de la loi qui ne garantit pas de saisine du juge judiciaire pour conditions indignes de détention 

Par la suite, le Conseil constitutionnel, saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité, considère contraire à la Constitution la loi qui ne garantit pas de saisine du juge judiciaire pour conditions indignes de détention. 

La QPC fait état de l’absence de texte qui permettrait de motiver une demande de mise en liberté, dans le cadre d’une détention provisoire, sur le fondement de conditions indignes. Seul peut être effectué un recours indemnitaire en réparation devant le juge judiciaire à l’issue de la détention provisoire sur le fondement de l’article 149 du CPP. Le détenu peut également engager la responsabilité de l’administration pénitentiaire devant le juge administratif pour obtenir réparation du préjudice subi du fait de mauvaises conditions de détention. (CE, 13 janv. 2017). Finalement, seuls les recours d’urgence peuvent être invoqués par un détenu sur le fondement de conditions indignes. L’intervention du juge des référés est néanmoins limitée à des mesures de court terme qui permettent de sauvegarder une liberté fondamentale dans les 48 heures. Le juge des référés ne peut prendre aucune mesure structurelle susceptible de mettre fin aux conditions contraires à la dignité humaine.

Le Conseil constitutionnel fonde sa décision sur le préambule de la Constitution de 1946 qui consacre la sauvegarde de la dignité de la personne humaine comme principe à valeur constitutionnelle. Il en déduit le droit à un recours effectif visant à remédier aux conditions indignes ou, le cas échéant, à mettre fin à la détention provisoire. Les mesures d’urgence devant le juge administratif ne suffisent à garantir qu’il soit mis fin aux conditions indignes. Le Conseil constitutionnel examine ensuite les recours devant le juge judiciaire. Aucune condition apportée aux articles 144 et 144-1 du CPP ne permet de mettre fin à la détention provisoire au motif de conditions contraires à la dignité humaine. Les dispositions législatives méconnaissent donc le principe constitutionnel de sauvegarde de la dignité humaine.

Par cette décision du 2 octobre 2020, le Conseil constitutionnel invite le législateur à faire cesser cette situation par la mise en œuvre de dispositions permettant aux personnes détenues de saisir le juge afin de mettre fin à leurs conditions de détention indignes. 

D. L'intervention du législateur par la loi du 8 avril 2021 

La décision du Conseil constitutionnel a amené le législateur à ouvrir un recours devant le juge judiciaire en cas de conditions de détention contraires à la dignité humaine. Ainsi, la loi n°2021-403 du 8 avril 2021 tendant à garantir le droit au respect de la dignité en détention institue l’article 803-8 du CPP. Selon ce texte, toute personne détenue dans un établissement pénitentiaire qui considère ses conditions de détention contraires à la dignité humaine peut saisir le juge des libertés et de la détention si elle est en détention provisoire ou le juge d’application des peines lorsqu’elle a déjà été condamnée et exécute sa peine.

E. La procédure de recours pour conditions indignes de détention 

Le détenu, accompagné par son avocat, doit effectuer pour cela une requête qui explicite les conditions de détention considérées contraires à la dignité humaine. Les allégations du détenu n’ont pas à être prouvées mais doivent constituer un commencement de preuve pour être recevables. C’est pour cela que la requête doit faire état d’allégations circonstanciées, personnelles et actuelles.

Le juge rend alors une décision qui déclare la requête recevable.

Il fait ensuite procéder aux vérifications nécessaires et recueille les observations de l’administration pénitentiaire dans un délai compris entre trois jours et sept jours à compter de la décision de recevabilité.

Si le juge estime les conditions de détention effectivement indignes, il doit en avertir l’administration pénitentiaire. Il lui fait connaître les conditions qu’il considère indignes afin qu’elle y mette fin dans un délai d’un mois maximum. Le juge ne peut enjoindre l’administration de prendre des mesures. Elle demeure en effet la seule compétente pour décider des moyens à mettre en œuvre pour remédier aux conditions indignes.

Si le juge constate à l’issue du délai que l’administration pénitentiaire n’a pas mis fin aux conditions contraires à la dignité humaine, il peut rendre différentes décisions :

  • Décider du transfert de l’intéressé dans un autre établissement pénitentiaire
  • Ordonner la mise en liberté immédiate si l’intéressé est en détention provisoire
  • Ordonner un retour progressif à la liberté dans le cadre de mesures de semi-liberté, de placement à l’extérieur, de détention à domicile sous surveillance électronique ou de libération conditionnelle

Chacune de ces décisions doit être motivée et tenir compte des observations de la personne détenue, de son avocat, de l’administration pénitentiaire et du procureur de la République. Le détenu peut également demander à être entendu par le juge. Enfin, il peut faire appel de la décision rendue devant de la chambre de l’instruction. Il dispose pour cela de dix jours.

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